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1939-1945 : Les Pirates de l’Edelweiss

Publié le 26 Mars 2015 (Mis à jour le :02-07-2017)


L'Edelweiss, bien avant d'être le nom d'une bande fasciste chambérienne, était le symbole de la résistance de la jeunesse allemande contre le nazisme. Retour sur un morceau d'histoire méconnu.

[...] Un adolescent allemand déclarait en 1942 : « Tout ce qui est prêché aux JH (Jeunesse Hitlérienne) est une supercherie. J’en suis certain parce que quand j’en faisais partie, tout ce que je devais dire était faux ».
A la fin des années 30 des milliers de jeunes faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour échapper à l’emprise des JH. Ils se regroupaient en bandes et recommençaient à s’amuser. Ceci terrifia les Nazis, en particulier lorsque les adolescents se mirent à défendre physiquement leurs propres espaces sociaux. Ce qui effrayait surtout les Nazis, c’est que ces jeunes étaient les produits de leur propre système d’éducation. Ils n’avaient eu aucun contact avec les anciens SPD ou KPD, ne connaissaient rien du Marxisme ou des anciens mouvements ouvriers. Ils avaient été éduqués par les Nazis, dans des écoles nazies, leur temps libre avait été occupé par l’écoute de la propagande et par les sports ou autres activités officiellement approuvés.

    Ces bandes portaient des noms différents. Leurs tenues favorites variaient d’une ville à l’autre, tout comme leurs insignes. À Essen, ils s’appelaient les « Farhtenstenze » (les Voyageurs), à Oberhausen et à Düsseldorf les « Kittelbach Pirates », à Cologne ils étaient les « Navajos ». Mais tous se voyaient comme étant les « Pirates de l’Edelweiss » (d’après un badge représentant cette fleur que beaucoup portaient). Des dossiers de la Gestapo à Cologne contiennent les noms de près de 3000 adolescent.e.s identifiés comme Pirates de l’Edelweiss. Clairement il dut y en avoir bien d’autres, surtout si on considère leur nombre à l’échelle de l’Allemagne.

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    Au début, leurs activités étaient plutôt inoffensives. Ils traînaient dans les parcs ou au coin des rues, ils créaient leurs propres espaces de vie comme le font partout les adolescents (en général au mécontentement des adultes). Pendant les week-ends, ils partaient en randonnée à la campagne et faisaient du camping en imitant ironiquement les activités que proposaient les JH. Mais contrairement aux excursions des JH, ces expéditions réunissaient filles et garçons, ce qui leur donnait une dimension différente, à la fois plus normale et plus excitante. Alors que les JH emmenaient les jeunes en voyage pour les isoler et les endoctriner, les expéditions des Pirates les éloignaient du Parti et leurs donnaient du temps et l’espace pour être eux/elles-mêmes. Durant leurs voyages ils/elles pouvaient rencontrer les Pirates des autres villes et villages. Certains parcouraient l’Allemagne de long en large en cette période où voyager sans autorisation était illégal.

Oser s’amuser à sa manière était un acte criminel. Ces jeunes étaient censés être sous le contrôle du Parti. Inévitablement, il leur arrivait de croiser les patrouilles Streifendiest et au lieu de s’enfuir, ils faisaient face et se battaient. Des rapports envoyés aux officiers de la Gestapo stipulaient que les Pirates de l’Edelweiss « gagnent autant de ces combats qu’ils n’en perdent. Je demande cependant que la police s’occupe de cette racaille une fois pour toute. Les JH prennent des risques pour leurs vies quand ils sortent dans la rue ».

    Les activités des Pirates devinrent plus audacieuses tandis que la guerre continuait. Ils jouaient des tours aux Alliés, combattaient leurs ennemis et commettaient de petits actes de sabotage. On les accusait d’être paresseux au travail et d’être des parasites sociaux. Ils se mirent à aider les Juifs, les déserteurs et les prisonniers de guerre. Ils taguaient des slogans antinazis et certains collectaient les tracs de propagande alliés pour les distribuer dans les boîtes aux lettres de la population. « Nous suspectons ces jeunes d’avoir peintes les inscriptions sur les murs du métro d’Altebbergstrasse, ‘A bas Hitler’, l’OKW (haut commandement militaire) ment’, ‘Des médailles pour commettre des meurtres’, ‘A bas la brutalité nazie’ … Souvent ces inscriptions sont effacées et en peu de jours de nouvelles
apparaissent sur les mêmes murs. » (Rapport du Parti de Düsseldorf-Graffenberg à la Gestapo, 1943).

Alors que le temps passait, un petit nombre devint encore plus audacieux, voire même héroïque. Ils lancèrent des raids contre les camps militaires pour se procurer des armes et des explosifs, s’attaquèrent à des notables nazis autres que ceux des JH et prirent part à des actions partisanes. Le chef de la Gestapo de Cologne fut l’une des victimes des Pirates de l’Edelweiss. Les autorités réagirent avec toute une batterie de mesures répressives qui allaient de l’avertissement individuel aux rafles et détentions temporaires (accompagnées de tonte des cheveux) et jusqu’au weekends d’emprisonnement, écoles de rééducation, camps de travail, camps de concentration pour jeunes. Des milliers se firent prendre durant cette chasse. Pour beaucoup la mort était au bout du chemin. Ceux qu’on considérait comme les leaders des Pirates de Cologne furent pendus publiquement en novembre 1944.
Cependant les Nazis avaient besoin de travailleurs dans les usines d’armement et de soldats pour leur guerre, ils ne pouvaient se résoudre à l’extermination de milliers de jeunes Allemands. De plus, il est juste de dire que l’Etat ne savait pas vraiment quoi faire de ces jeunes rebelles qui étaient Allemands de souche et qui auraient dû être reconnaissants de ce que les Nazis avaient donné. Ne pouvant en exécuter des milliers, et incapables de comprendre ce qui se passait, l’État était de même incapable de les contenir.

    Alors pourquoi a t-on si peu entendu parler des Pirates de l’Edelweiss ? Quand j’ai commencé mes recherches pour cet article, je me suis rendu compte qu’il était extrêmement dur de trouver des informations les concernant. La plupart semblaient tourner autour des travaux de l’historien Allemand Detlev Peukert dont les écrits sont essentiels. Des recherches sur Internet ne révélèrent que deux articles. De nombreuses explications se dégagent. Les autorités alliées d’après-guerre voulaient reconstruire l’Allemagne selon un modèle occidental moderne et démocratique. Pour y parvenir, ils firent appliquer des lois strictes sur le travail, incluant le travail obligatoire. Les Pirates de l’Edelweiss avaient une forte éthique anti-travail alors ils entrèrent aussi en conflit avec les nouvelles autorités. Un rapport de 1949 signalait « l’étendue d’un phénomène de répugnance au travail qui était devenue l’habitude de nombreux jeunes ». Les poursuites contre ceux qu’on appelait les « jeunes oisifs » furent parfois aussi dures sous l’occupation alliée que pendant la période nazie.

En 1947, un tribunal condamna une jeune femme à cinq mois de prison pour « refus de travailler ». Les jeunes devinrent les ennemis du nouvel ordre. Les opposant.e.s politiques des Nazis avaient été contraint.e.s à l’exil, assassiné.e.s ou obligé.e.s de cacher leurs opinions. L’activité clandestine s’était efforcée de garder les structures des partis intactes. Ils/elles ne  pouvaient admettre que la résistance physique avait bel et bien existé et qu’elle reposait sur des bandes de jeunes des rues ! Pour les politiciens de l’UDC (Union Démocratique Chrétienne) et ceux du SPD, les Pirates représentaient la racaille tout comme ils l’avaient été pour les Nazis. Le mythe d’une guerre juste utilisé par les Alliés reposait fortement sur l’idée que les Allemands étaient restés silencieux pendant la période nazie ou qu’ils/elles avaient activement supportés le régime. Les actions des « voyous des rues » contre les Nazis devaient donc être oubliées pour maintenir cette version.

    Depuis des décennies, l’intérêt pour les Pirates de l’Edelweiss n’a cessé de croître. De plus en plus de choses sur eux sont publiées et un film est prévu. Nous devons nous assurer qu’ils ne seront pas de nouveau oubliés. Comme le disent les producteurs du film: « Les Pirates de l’Edelweiss n’étaient pas des héros absolus mais plutôt des gens ordinaires faisant des choses extraordinaires ». C’est précisément ceci qui nous donne de l’espoir pour le futur.


Via le site Soyons-Sauvage


Fédération Anarchiste (de Grande-Bretagne)